La rencontre du 13 décembre 2013 de la TRICEF a porté sur un sujet dont il est peu question dans les publications: les théologies implicites de nos pratiques pastorales – c’est-à-dire nos manières d’envisager qui est Dieu, qu’est-ce que d’être humain, quelle est notre relation à Dieu, notre place dans le monde, nos perspectives sur la communauté humaine, sur la communauté croyante, mais qui ne sont pas toujours en vitrine…
La question est venue d’une situation bien concrète que je relate tout de suite. Je participais il y a quelques mois à un congrès de spécialistes de la Children’s Theology – le dialogue théologique avec les enfants. A l’occasion d’un atelier, une étude de cas a été présentée aux participants dont la plupart avait une vaste compétence du monde de l’éducation et beaucoup d’expérience dans le dialogue théologique avec les enfants. La vidéo présentée montrait une classe d’une vingtaine d’enfants d’environ sept ans à qui était raconté l’épisode du buisson ardent. Les enfants attentifs prenaient ensuite la parole et entamaient la conversation. A un moment, un enfant demande à l’éducatrice : « Et vous madame, est-ce que Dieu vous parle? » Comme prise au dépourvu, elle répond : « Mais Dieu ne parle par aujourd’hui! » Il y a alors une petite commotion dans la classe qui se met à grouiller et à s’agiter. On entend des bruits de chaises et plusieurs enfants qui parlent en même temps si bien qu’il est difficile de savoir la suite avec certitude. Est-ce qu’un enfant dit : « Dieu te parle! » ou bien « Dieu me parle! » ou est-ce que ce sont les deux phrases qui sont prononcées? L’éducatrice passe à autre chose et distribue ensuite des feuilles sur lesquelles un buisson est dessiné. Elle demande aux enfants de quelles couleurs ils vont colorier le buisson.
L’atelier auquel je participais avait pour but de « diagnostiquer » ce qui avait fait défaut dans la pratique de l’éducatrice et de proposer des pistes de solutions. Avec la TRICEF, la situation a servi de point de départ à notre réflexion. Il me semblait en effet que le malaise des enfants témoignait de bien plus que d’une erreur pédagogique et qu’il portait comme crucial une question de cohérence et de sens. L’enjeu est ici spirituel et théologique.
Un grand nombre de pratiques pastorales en éducation de la foi au Québec ont pour souci de favoriser le dialogue et l’appropriation personnelle de la proposition chrétienne. Le modèle de communication n’est alors plus le modèle scolaire mais plus « communautaire » où chacun peut apprendre des uns et des autres : c’est bien ce qui est recherché dans le dialogue théologique en Europe ou dans le dialogue pastoral au Québec. Mais les défis sont nombreux. Je reprends ici quelques pistes d’approfondissement proposées par les membres de la TRICEF et que je désire poursuivre dans ma propre réflexion.
1 – Tout d’abord il faut mentionner pour les agents de pastorale, pour les catéchètes, pour tous les animateurs, accompagnateurs et éducateurs, l’importance de reconnaître nos théologies implicites. – Dans le cas présent, l’éducatrice ne semble pas s’être interrogée, à partir de sa croyance que « Dieu ne parle pas aujourd’hui » sur son interprétation du texte biblique. Il ne s’agit pas d’expliquer le récit mais de chercher le surplus de sens qu’il peut apporter à nos vies quotidiennes.
2 – Avant de réfuter une croyance d’un acteur d’une pratique pastorale, il est également important d’en chercher communautairement l’interprétation. Dans le cas présent, il serait tentant de contredire l’éducatrice en disant comme les enfants : « Dieu parle aujourd’hui ». Cependant dans le dialogue, il importe de prendre au sérieux la posture de chacun. Si Dieu parle encore aujourd’hui, il est également vrai que plusieurs personnes expérimentent très douloureusement son silence. Comment alors faire sens du texte du buisson ardent?
3 – Pour entrer dans le processus dont il est question ici, l’intériorisation de la Parole (Écriture ou parole partagée) est essentielle. Elle aide à surmonter le défi de l’extrinsécisme – lorsque l’argument d’autorité fait fi du questionnement ou de l’expérience. Il est essentiel de nous mettre à l’écoute de la Parole. Encore ici, interpréter, faire sens – et non pas plaquer un sens – est incontournable.
A un autre niveau, c’est notre compréhension de la « théologie » qu’il est nécessaire de questionner. Réfère-t-elle à des contenus? Ou bien se comprend-elle comme acte d’élaboration de sens? Les contenus sont habituellement fermes et fermés. Le travail d’interprétation est sans cesse appelé à se poursuivre parce qu’il est toujours partial et partiel. Les sujets théologiques – Dieu et l’humain – ne renvoient-ils pas au Mystère et à l’Infini? ( Comme en écho à tout ceci, et sans trop me prendre au sérieux, je me pose la question : quelle théologie mon texte trahit-il? )
Je m’arrête ici, pour ouvrir la conversation à d’autres. Pour que justement, nous puissions poursuivre et élargir le dialogue amorcé…